Chanteur charismatique et compositeur, véritable idole de la soul naissante, dont on lui attribue souvent l’invention, cet interprète flamboyant a séduit les publics blancs et noirs en mêlant ferveur gospel et pop enjôleuse, le sacré et le profane.
Samuel Cook est né le 22 janvier 1931 à Clarksdale dans le Mississipi. Ce fils de pasteur grandit à Chicago et chante très tôt le gospel. Dès l’âge de neuf ans, il forme avec deux de ses soeurs et un de ses frères la chorale gospel The Singing Children. Adolescent, il intègre le groupe baptiste Highway QC’s et, à l’âge de 20 ans, repéré par J.W. Alexander il prend la place de R.H. Harris comme lead-singer des déjà célèbres Soul Stirrers (formation créée en 1934). Il enregistre avec eux, pour le label Specialty, des titres comme « Jesus gave me Water », « Touch the Hem of His Garment » ou « Were you there », il participe aux tournées « Gospel Highway » et, dans des états encore ségrégationnistes, il met en extase un public encore exclusivement noir.
Sous l’influence de Bumps Blackwell, directeur artistique chez Specialty et producteur de Little Richard, Cooke va s’éloigner du pur gospel qui l’a fait connaître, faisant prendre à sa musique un versant plus séculier. En 1957, sur le label Keen, sort le morceau « Lovable » sous le pseudonyme de Dale Cook, pour ne pas heurter les puristes gospel irrités par le fait qu’il ne chante plus à la gloire du Seigneur. Mais le pseudo ne trompe personne tant le vocaliste est unique. Les Soul Stirrers ne tardent alors pas à remplacer Sam Cooke et c’est Johnny Taylor qui prendra sa place dans la formation. Puis parait le hit « You send me » avec ses fameux ‘whoa-uh-oh-uh-whoa’ posés sur de suaves chœurs féminins, qui se classera n°1 dans les charts rhythm & blues et pop. Suivront beaucoup d’autres succès comme « I’ll come running back to you », « Only sixteen », « Wonderful World ». Son chant est suave mais intense, d’une grande élégance, l’élocution est toujours soignée. Il semble faire moduler avec passion, mais sans effort, sa riche voix veloutée, inégalée.
Signé en 1959 chez RCA, il commence à travailler avec l'équipe de production de Hugo (Peretti) et de Luigi (Creatore) et sa musique prend des allures plus « pop », parfois exagérément enrobée. Les disques de Sam Cooke vont connaître un très grand succès comme « Chain Gang » en 1960, suivi d’une multitude d’autres hits, « Cupid » en 1961, « Twistin’ the Night away », « Bring it on Home to Me » (avec Lou Rawls) ou « Havin’a Party » en 1962. Sam Cooke s’associe aussi avec son ami J.W. Alexander pour créer le Label SAR (‘Sam and Alex Records’) et produit bon nombre d’artistes à qui il a ouvert la voie d’une soul audacieuse. Sous l’égide de SAR sortira entre autres le titre « It’s all over now », interprété par Bobby Womack (alors dans les Valentinos), dont les Rolling Stones ont fait une fameuse reprise, et aussi des enregistrements des Soul Stirrers et de Johnny Taylor.
Sam Cooke révèle encore mieux sa grâce et sa splendide énergie sur scène. Après une tournée en Europe en 1962, ses Live at the Harlem Square Club de 1963 et At the Copa de juillet 1964 témoignent d’une fougue, d’une aisance, d’un humour et d’une classe hors du commun. On y entend un Sam Cooke passionné, au sommet de son art, la ferveur de ses interprétations témoignant de la conviction, de l’élégance et… de la séduction avec lesquelles il porte ses morceaux. L’irréprochable section de cuivres qui l’accompagne semble portée par le même enthousiasme. Le public exulte. L’artiste est bel et bien parvenu à conquérir un public multiracial, sans rien renier de la sincérité exacerbée héritée du gospel, à faire twister le public sans distinction de couleur.
Sam Cooke était considéré par son ami Mohammed Ali comme « le plus grand chanteur de rock’n’roll du monde ». Peu de temps avant sa mort à l’âge de 33 ans, découvrant le « Blowin’ in the Wind » de Bob Dylan, Cooke écrit et enregistre un hymne poétique et concerné : le lumineux et évocateur « A Change is Gonna Come ». Le 11 décembre 1964, l’artiste devenu idole se fait tirer dessus par la réceptionniste du motel Hacienda de Los Angeles. Il semble qu’il ait tenté de l’agresser après qu’une jeune femme, dont il avait voulu abuser, lui ait faussé compagnie en emportant une partie de ses vêtements ! Sordide affaire… et suspecte pour certains, tant l’enquête fût rapidement menée. Des dizaines de milliers de fans et de nombreux artistes se rendirent à son enterrement, dont Ray Charles, qui entonna pour l’occasion ‘Angels Keep Watching Over Me’. J.W. Alexander fût effondré de perdre son ami et celui pour lequel il était encore empli d’espoirs de triomphe ; il ferma S.A.R. Peu de temps après son décès, la veuve de Sam épousa Bobby Womack.
« A Change is Gonna Come » déjà supprimé de l’enregistrement live du Copa, ne sortira en 45 tours qu’après sa mort, en face B de « Shake ». L’influence de Sam Cooke est considérable, quand on sait quelle destinée a connu ce mélange de ferveur gospel et de rythm’n’blues, dont Ray Charles avait précédemment posé les fondements, avec un autre son. Nombreux sont ceux qui ont perpétué son art, repris ses chansons, rendu hommage au génial créateur : Marvin Gaye, Al Green, Solomon Burke et surtout Otis Redding, tous ceux qui ont donné à la musique noire américaine une audience universelle, cette musique de l’âme qui, au-delà du feeling qui en fait la substance, sera porteuse du plus bel espoir de liberté